Le 4 juin 1958, Charles de Gaulle prononçait à Alger une phrase restée célèbre : « Je vous ai compris »
Le contexte politique explosif de mai-juin 1958
Une IVe République en pleine crise À la fin des années 1950, la IVe République est à bout de souffle. Instable, incapable de gérer la guerre d’Algérie qui s’enlise depuis 1954, elle fait face à la colère croissante des militaires, des pieds-noirs et d’une partie de l’opinion publique. Le 13 mai 1958, un coup de force est organisé à Alger par les partisans de l’Algérie française. Le « Comité de Salut Public » réclame le retour de Charles de Gaulle au pouvoir. À Paris, la situation devient ingérable. Le président René Coty fait appel à De Gaulle, figure mythique de la Libération.
Un retour triomphal et stratégique De Gaulle revient officiellement au pouvoir le 1er juin 1958. Dès le 4 juin, il se rend à Alger pour calmer les esprits. C’est là qu’il prononce son fameux discours devant une foule exaltée, majoritairement européenne, sur le balcon du Gouvernement général à Alger.
Le discours du 4 juin : « Je vous ai compris »
Une formule historique, volontairement ambiguë Devant une foule galvanisée, De Gaulle lance : « Je vous ai compris ! » Cette phrase suscite une immense ovation. Les pieds-noirs y voient une promesse : celle de maintenir l’Algérie française. Pourtant, De Gaulle, fin stratège, ne fait aucune promesse explicite. Il poursuit en évoquant la France une et indivisible, tout en restant flou sur l’avenir de l’Algérie : « Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je constate ce que vous êtes en train de faire. » L’ambiguïté est totale. De Gaulle, en maître de la rhétorique, laisse chacun entendre ce qu’il souhaite.
Une mise en scène habile Le décor est solennel. Les caméras sont présentes. De Gaulle parle avec autorité. Il utilise son charisme pour rassurer sans s’engager, séduire sans promettre. Ce discours marque son retour effectif au pouvoir et sa reprise en main de la situation.
Réactions immédiates : entre euphorie et méfiance
L’exaltation des partisans de l’Algérie française À Alger, la foule acclame De Gaulle. Les généraux, les colons, les militants de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) se sentent confortés. Ils croient à un soutien indéfectible du nouveau chef de l’État. Certains murmurent déjà qu’un « sauveur » est revenu. On chante la Marseillaise, on brandit des drapeaux tricolores. L’euphorie est totale.
Les doutes des nationalistes algériens Du côté du FLN (Front de libération nationale), le message est clair : De Gaulle ne dit rien de concret. On pressent que le général cherche avant tout à reprendre le contrôle, pas à négocier. La lutte armée continue.
Une illusion entretenue : De Gaulle et la stratégie du flou
Gagner du temps pour changer la donne De Gaulle n’a jamais dit « L’Algérie restera française ». En réalité, il sait déjà qu’une solution durable passe par une rupture avec le statu quo. Il se donne le temps de réformer les institutions (nouvelle Constitution en septembre 1958) et de reprendre la main sur les militaires. Il joue un double jeu : rassurer les uns, désarçonner les autres. C’est une stratégie classique chez lui, comme il l’écrira plus tard dans ses Mémoires : « Il fallait d’abord rétablir l’État avant de trancher. »
Le tournant de 1959 : vers l’autodétermination Dès 1959, De Gaulle change de ton. Il évoque publiquement le droit des Algériens à l’autodétermination, provoquant la fureur des partisans de l’Algérie française. Les désillusions s’accumulent. Le divorce est consommé.
Conséquences à long terme
L’éclatement de la communauté pied-noir Beaucoup de pieds-noirs se sentiront trahis par De Gaulle. Certains rejoignent l’OAS, d’autres fuient vers la métropole à partir de 1962, lors de l’indépendance algérienne. Le traumatisme restera vif.
Une Algérie en marche vers l’indépendance Le discours de juin 1958 marque pourtant le début d’un processus irréversible. En 1962, les accords d’Évian consacrent l’indépendance de l’Algérie. Les paroles de De Gaulle résonnent alors comme un moment clé de la transition, non comme une promesse tenue.
Une phrase restée dans l’histoire « Je vous ai compris » est devenue une formule mythique, mais aussi un symbole d’ambiguïté politique. Elle incarne la capacité de De Gaulle à dominer la scène politique par le verbe, tout en gardant secrètes ses intentions réelles.
Une phrase, une stratégie, un tournant Le discours du 4 juin 1958 à Alger est l’un des plus célèbres de l’histoire politique française. Il révèle toute la complexité du général de Gaulle, son habileté à manier les symboles, à apaiser sans promettre, à séduire sans s’engager. Derrière les mots « Je vous ai compris », se cache une stratégie de reconquête de l’État, qui aboutira à la fin de la guerre d’Algérie… et à une fracture durable entre la France et une partie de ses citoyens d’alors.