Alors que l’Holocauste décimait des millions de Juifs en Europe, deux puissances morales et politiques étaient scrutées : le Vatican, siège de l’Église catholique, et les États-Unis, démocratie phare du monde libre. Pourquoi le Vatican est-il resté longtemps silencieux face aux crimes nazis ? Les États-Unis auraient-ils pu intervenir plus tôt pour sauver des vies ? Entre calculs diplomatiques, craintes géopolitiques et responsabilités morales, cet épisode interroge encore aujourd’hui. Retour sur le « silence sacré » qui entoure la réponse – ou l’absence de réponse – au plus grand génocide du XXe siècle.
Le Vatican avant et pendant la guerre : entre neutralité et prudence diplomatique
En 1939, le cardinal Eugenio Pacelli devient le pape Pie XII, quelques mois avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ancien nonce apostolique à Berlin, il connaît bien l’Allemagne et sa culture. Dès le début du conflit, il affiche une position de neutralité et appelle à la paix.
Mais face à la montée de l’antisémitisme, les critiques ne tardent pas à émerger. Pie XII ne condamne pas publiquement les lois raciales de Mussolini, ni celles du régime nazi. Son encyclique Summi Pontificatus (1939), bien qu’appelant à l’unité humaine, reste très générale, sans dénoncer explicitement les persécutions juives.
Durant la guerre, le Vatican :
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Maintient des canaux diplomatiques ouverts avec l’Allemagne nazie,
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Transmet des informations aux Alliés,
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Organise en secret des aides ponctuelles à certains Juifs, via des couvents, églises ou diplomates.
Mais le silence public du Saint-Siège sur l’Holocauste est resté frappant.
Le dilemme moral de Pie XII : prudence ou complicité ?
Les défenseurs de Pie XII avancent plusieurs arguments :
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Une prise de position ouverte aurait pu déclencher des représailles contre les catholiques dans les pays occupés,
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Le pape a œuvré discrètement pour sauver des Juifs, comme à Rome ou en Hongrie,
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Il ne disposait pas toujours d’informations fiables, et ne mesurait peut-être pas l’ampleur du génocide.
Mais pour d’autres, ce silence revient à une forme de complicité passive. En refusant d’utiliser son autorité morale pour dénoncer clairement les crimes nazis, Pie XII aurait manqué à sa mission spirituelle universelle.
Des témoignages d’époque révèlent que des rapports précis sur les déportations arrivaient au Vatican dès 1942, notamment via des émissaires polonais. Pourtant, aucune encyclique, aucune déclaration officielle ne condamne directement la Shoah.
Les États-Unis face à l’Holocauste : entre ignorance, inertie et priorités militaires
Du côté des États-Unis, l’attitude vis-à-vis de l’Holocauste évolue elle aussi dans l’ambiguïté. Avant même l’entrée en guerre en 1941, l’administration Roosevelt est informée des persécutions en Europe. Mais le pays reste marqué par :
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Un antisémitisme latent,
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Des quotas migratoires restrictifs,
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Une volonté de ne pas trop s’engager dans les affaires européennes.
Même après l’attaque de Pearl Harbor, les priorités sont d’ordre militaire et stratégique, non humanitaire.
En 1942, le gouvernement américain apprend l’existence des chambres à gaz via des sources polonaises et juives. Pourtant, il faudra attendre 1944 pour que le président crée le War Refugee Board, chargé d’organiser le sauvetage des populations persécutées.
Le refus de bombarder Auschwitz : une controverse durable
L’un des épisodes les plus discutés reste le refus des Alliés de bombarder Auschwitz ou les voies ferrées qui y menaient. À partir de 1944, les avions alliés survolent régulièrement la région. Des responsables juifs demandent alors :
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Le bombardement des crématoires,
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Ou des rails menant aux camps.
Mais les autorités américaines refusent, invoquant des raisons militaires :
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Manque de précision,
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Risques pour les prisonniers,
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Mobilisation prioritaire des ressources pour la défaite de l’Allemagne.
Aujourd’hui encore, cette décision alimente les débats : les Alliés ont-ils sacrifié des vies juives pour une victoire rapide ?
Des voix isolées mais courageuses
Malgré le silence des institutions, des figures catholiques ou américaines ont agi :
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Monseigneur Angelo Rotta, nonce apostolique à Budapest, délivre des milliers de faux papiers aux Juifs hongrois.
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Raoul Wallenberg, diplomate suédois, sauve des milliers de Juifs à Budapest, parfois avec le soutien discret du Vatican.
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Aux États-Unis, des journalistes comme Varian Fry ou des diplomates comme Hiram Bingham IV tentent de sauver des intellectuels, artistes et familles juives en France ou en Espagne.
Ces initiatives individuelles ne masquent toutefois pas l’inertie des grandes puissances face à l’ampleur du crime.
Après-guerre : révélations, accusations et débats historiques
Dès les années 1950, la question du silence de Pie XII devient un sujet de polémique. En 1963, la pièce Le Vicaire de Rolf Hochhuth dénonce l’inaction du pape face à la Shoah. L’ouvrage fait scandale et relance un vaste débat historique, théologique et moral.
Le Vatican répond en publiant une série de documents (Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale), mais refuse longtemps l’ouverture complète des archives.
Il faudra attendre mars 2020 pour que le pape François autorise l’accès aux archives du pontificat de Pie XII (1939-1958). Depuis, les historiens poursuivent leurs recherches pour évaluer la vérité historique au-delà des passions.
Entre devoir de mémoire et responsabilité morale
L’attitude du Vatican et des États-Unis face à l’Holocauste illustre les ambiguïtés des grandes puissances confrontées à des événements d'une horreur sans précédent. Si certaines justifications relèvent de la prudence diplomatique, elles interrogent en profondeur sur la capacité des institutions à incarner les valeurs qu’elles prônent.
Aujourd’hui, ces débats ne sont pas clos. Ils nourrissent une réflexion essentielle sur le rôle des religions, des démocraties et des élites face aux génocides, et rappellent combien le silence peut devenir une forme de trahison.